À gauche en sortant du cauchemar
Vers un cannibalisme éclairé
« Votre monde est dégueulasse. Votre amour du plus fort est morbide. Votre puissance est une puissance sinistre. Vous êtes une bande d’imbéciles funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable. On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde. » Virginie Despentes, in Libération du 01/03/2020.
De toute évidence, Virginie Despentes a raison : le monde est dégueulasse, à la fois souillé et corrompu. Elle parle du monde — le nôtre, qu’on le veuille ou non — qui vient de remettre à Roman Polanski un César pour son J’accuse. Elle dit qu’en honorant l’œuvre du cinéaste en dépit des polémiques sordides dont il est l’objet, la profession du cinéma exprime d’abord le droit inaliénable du pouvoir de l’argent de faire absolument ce qu’il veut et de n’être borné par rien. Ce pouvoir a tous les droits, à commencer par celui de piller et d’exterminer, jusqu’à celui de violer.
Se lever, gueuler, les emmerder, certes. Mais « Se casser » ? « Se casser »…
On ne saurait s’expulser du monde comme on s’expulse avec panache et courage de l’enceinte de la cérémonie des Césars. Si nous quittons la salle des cérémonies, c’est pour retrouver la rue des cérémonies, ses MacDonald’s, ses boutiques de luxe, ses mendiants, ses taudis, ses mers pourries, ses forêts aphones, ses gosses à l’encan et ses forces de l’ordre décérébrées. Nous pourrions rêver à la lune, mais il se trouve que déjà l’argent en a rêvé pour tous. Et nous voilà bien couillons en vérité.
Alors, bon…
Eh bien, justement, la pièce met en scène deux personnages qui se sont « cassés », qui ont pris leurs cliques et leurs claques et se sont dégoté un petit bout de terre océanique inhabitée où d’être gens d’honneur ils aient le loisir. Seulement voilà que le yacht de l’infect Robollé échoue sur leur rivage et que ce monsieur Robollé ne goûte que très médiocrement la rusticité des lieux et pas du tout la stricte égalité qui règne entre ses occupants.
Texte : Sébastien Weber. Mise en scène : Élodie Cotin. Avec : Jean-Baptiste Carnoye, Élodie Cotin, Rapahël Dubois, Manon Méli, Franck Rabilier, Charline Voinet et Christian Termis.